
Yva (Else Ernestine Neuländer-Simon).

(Source du texte: museeorsay.fr)
Entre 1899 et 1900, Léon Spilliaert (1881-1946) suit pendant quelques mois les cours de l’académie de Bruges. C’est donc en quasi-autodidacte qu’il dessine son premier autoportrait, daté du 2 décembre 1902. Si cette première tentative se révèle d’un réalisme appliqué et presque académique, les dessins postérieurs vont se montrer beaucoup plus audacieux.
A partir de septembre 1902, Spilliaert commence en effet à réaliser des illustrations pour Edmond Deman, un important éditeur bruxellois. C’est par son intermédiaire qu’il découvre l’oeuvre de Fernand Khnopff, Théo Van Rysselberghe, George Mine, Félicien Rops et James Ensor, mais également celle de Français comme Odilon Redon.
Dans les autoportraits de Spilliaert, on peut distinguer une évolution vers toujours plus d’introspection et d’ abstraction. Ses premiers autoportraits le montrent en costume, de profil. Spilliaert s’est ensuite représenté de face, fixant le miroir de manière inquiétante. La mélancolie et la rigueur de ses autoportraits rappellent l’expressionnisme, tandis que leur jeu avec le clair-obscur évoque les estampes japonaises
Spilliaert réalise alors des autoportraits dans lesquels l’introspection se révèle plus complexe et plus pénétrante que dans celui de 1902. C’est notamment le cas de L’autoportrait dit « aux masques » en 1903. La physionomie tourmentée, aux yeux perdus dans l’ombre profonde des orbites, est dramatisée par la pose de trois quarts, qui laisse dans l’indétermination toute une partie du visage. Cette évolution vers l’expressionnisme conduira à des interprétations hallucinées, puis macabres (l’Autoportrait au miroir, 1908).
Dans une lettre à Paule Deman, fille d’Edmond, datée de fin 1904, Spilliaert décrit d’ailleurs lui-même son caractère comme « inquiet et fiévreux ». La souffrance physique que lui causera plus tard la maladie – il sera atteint d’un ulcère à l’estomac – accentuera cette disposition.
Spilliaert explore les possibilités de l’autoportrait avec beaucoup d’intensité jusque dans les années 1907-1908, période décisive qui voit naître l’essentiel de cette production. Le thème du miroir devient à cette époque un élément récurrent de ses autoportraits. La relation de Spilliaert à cet objet créateur d’image, comme l’artiste, oscille alors constamment entre séduction et répulsion.
Si Spilliaert par la suite délaisse quelque peu le thème de l’autoreprésentation, il ne l’abandonnera jamais totalement et y reviendra à plusieurs reprises au cours de sa carrière. La pratique de l’autoportrait est le coeur de la recherche du peintre, qui a ainsi multiplié les visions les plus insolites et troublantes de lui-même.
En quinze ans, Egon Schiele a réalisé une centaine d’autoportraits, un record dans l’histoire de l’art ! Il faut dire que le genre introspectif est à la mode chez les artistes expressionnistes, contemporains de la psychanalyse, et Schiele ne diffère en cela de Kokoschka, Spilliaert ou Ensor que par le nombre impressionnant des tableaux dont il est le modèle.
Il est vrai que le principal ornement de son premier appartement était un grand miroir, un cadeau de sa mère ! Voilà qui aurait intéressé Sigmund Freud.
Dans ses dessins, Schiele ne s’encombre guère d’attributs. L’être est nu, et souvent littéralement : le « déshabillage de l’âme » s’accompagne d’un « déshabillage du corps ». Portraits et autoportraits sont réduits à eux-mêmes, sans accessoires ni décor, seule compte la pose, théâtrale, grinçante, dramatique, torturée, toujours très expressive : Egon Schiele reste dandy (on dirait « classe » aujourd’hui) jusque dans ses impudeurs. Ses dessins sont souvent dérangeants, mais restent pour la plupart parfaitement soutenables. Il souffre somme toute avec beaucoup d’élégance graphique.
Egon Schiele ne semble pas beaucoup s’aimer lui-même – enfin, c’est en tout cas le message qu’il veut faire passer – ou alors il prend plaisir à torturer son double pictural ; il est sa propre marionnette, son « dopplegänger » (un sosie inquiétant de la culture germanique).
Cependant, on comprend mieux les tableaux d’Egon Schiele en les inscrivant dans le contexte particulier de Vienne en 1910 : l’expressionnisme ne concerne pas que les arts plastiques, et Schiele est un amateur de danse qui va aux spectacles expressionnistes (on parlait alors de « danse libre ») d’Isabella Duncan ou des sœurs Wiesenthal. Tout comme dans la pantomime (le célèbre mime Erwin van Osen fût l’un de ses meilleurs amis), le corps se casse, l’angle est préféré à la courbe, le geste est exagéré jusqu’à la caricature, le masque est tragique pour mieux personnifier le sentiment.

Edgar Degas. Autoportrait à la statue de Bartholomé 1895
Pablo Picasso.Autoportrait 1903
Pierre Molinier. Autoportrait au fouet
Via kamelmennour
Pierre Molinier. Autoportait au tabouret en tirage négatif
Via kamelmennour
Antonin Artaud. Autoportrait 1948